Décès et disparitions de migrants
Depuis 2014, plus de 4 000 décès ont été enregistrés chaque année sur les routes migratoires dans le monde. Ce chiffre ne représente toutefois qu’une estimation minimale, car la majorité des décès de migrants dans le monde ne sont pas enregistrés. Depuis 1996, plus de 75 000 décès de migrant ont été enregistrés dans le monde. Ces données non seulement mettent en évidence la question des décès de migrants et les conséquences pour les familles restées au pays d’origine, mais permettent également d’évaluer les risques de la migration irrégulière et de concevoir des politiques et des programmes pour que les migrations soient plus sûres.
Décès et disparitions de migrants enregistrés dans le monde depuis le 1er janvier 2014 (cliquez sur l’image pour faire apparaître les animations et données les plus récentes):
Source: Projet de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) sur les migrants portés disparus, 2019. Les données proviennent de différentes sources, y compris d’autorités locales, d’enquêtes et d’entretiens menés avec des survivants, d’organisations intergouvernementales, d’ONG et de reportages.
Notes: a) Tous les chiffres rendent compte uniquement des incidents dont l’OIM a connaissance – un nombre inconnu de décès n’étant pas signalé, ces données ne constituent que des estimations minimales. L’exhaustivité des données varie selon la région. b) Les chiffres englobent tant les corps retrouvés que les migrants portés disparus et présumés morts. c) Les chiffres correspondent aux décès survenus pendant le processus migratoire. Ils n’incluent pas les décès survenus dans le pays de destination qui pourraient être indirectement attribuables au statut migratoire du migrant ou aux politiques en matière d’immigration. d) Les noms et les frontières qui figurent sur la présente carte n’impliquent ni reconnaissance ni acceptation officielle de la part de l’OIM.
Back to top
Définitions
Les décès de migrants sont définis de diverses manières. Le projet de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) sur les migrants portés disparus, qui réunit des données à partir de nombreuses sources, comptabilise les décès de personnes qui sont mortes au cours du processus volontaire de migration vers un pays différent de leur pays de résidence. Cette définition est similaire à celle employée dans d’autres initiatives telles que la base de données Deaths at the Borders en Europe, à la différence qu’elle inclut également les migrants qui ont disparu en traversant des étendues d’eau au cours de leur voyage. Cette approche, motivée par le fait que les décès survenus aux frontières physiques et pendant le voyage constituent une catégorie plus clairement définissable, indique les routes migratoires les plus dangereuses. Le statut migratoire des corps non identifiés étant souvent difficile à déterminer, on peut classer ceux qui sont trouvés à des points de passage frontaliers ou sur de grandes routes migratoires dans la catégorie des migrants en se basant sur leurs effets personnels et/ou sur les caractéristiques du décès. Par exemple, le décès d’un ressortissant hondurien tombé d’un train de marchandises au Mexique peut être enregistré comme un décès de migrant, car les migrants centraméricains empruntent fréquemment l’itinéraire ferroviaire marchand La Bestia pour traverser le Mexique jusqu’à la frontière avec les États-Unis. Étant donné que ces décès surviennent souvent pendant la migration irrégulière, la collecte et l’analyse de données sur les décès de migrants sont étroitement liées à ce sujet.
D’autres sources de données peuvent également inclure les décès qui ne figurent pas dans le projet de l’OIM sur les migrants portés disparus ou la plupart d’autres sources relatives aux décès de migrants, tels que les décès qui:
- surviennent dans les camps de réfugiés, les structures de détention et durant la déportation ;
- surviennent après le retour forcé d’un migrant dans son pays d’origine ; ou
- qui sont liés de manière indirecte au « statut irrégulier » des migrants, tels que ceux qui résultent de la xénophobie, de l’exploitation de la main d’oeuvre et d’autres discriminations structurelles.
La plupart des sources de données sur les décès de migrants ne comptabilisent pas les décès qui résultent de migrations internes ou les décès de résidents étrangers de longue durée. Ce sont souvent les autorités des États de destination et d’origine qui recueillent ce type de données.
Tendances récentes
Le projet de l’OIM sur les migrants portés disparus, qui représente actuellement la seule initiative de collecte de données sur les décès de migrants dans le monde, a enregistré le décès ou la disparition de plus de 33 400 femmes, hommes et enfants depuis le début de la collecte de données en 2014. La vaste majorité des décès de migrants enregistrés par le projet sont survenus en Méditerranée, où plus de 18 500 décès ou disparitions de personnes ont été enregistrés depuis 2014. La route de la Méditerranée centrale, qui relie l’Afrique du Nord et l’Italie, affiche le plus grand nombre de décès et de disparitions signalés pendant le voyage de migration – elle a coûté la vie à plus de 15 500 personnes entre janvier 2014 et octobre 2019. Bien que l’augmentation des décès de migrants puisse en partie être imputée à l’amélioration des sources de données, elle traduit les risques croissants que courent les migrants dans le monde. Depuis 2014, plusieurs autres régions du monde ont été le théâtre de milliers de décès pendant le voyage de migration. Plus de 7 400 décès ont été enregistrés sur le continent africain, dont beaucoup sont survenus sur les itinéraires de transit qui traversent le désert du Sahara. Ces cinq dernières années, le décès de plus de 3 000 personnes a été enregistré au cours de migrations en Asie, souvent en lien avec l’exode des Rohingya depuis le Myanmar. Dans les Amériques, plus de 3 600 personnes ont péri ou ont été portées disparues pendant le voyage de migration depuis 2014. 60 % de ces décès ont été enregistrés à la frontière entre le Mexique et les États-Unis.
Sources de données
Plusieurs sources primaires fournissent des informations sur les décès de migrants. Différentes plateformes regroupent ces données à l’échelle mondiale, régionale, nationale et locale.
Collecte de données à l’échelle mondiale:
Le projet de l’OIM sur les migrants portés disparus, qui a démarré en 2014, est la seule base de données qui recueille des données sur les décès de migrants dans le monde. Les sources de données utilisées varient selon la disponibilité dans chaque région. Par exemple, dans la région méditerranéenne, le personnel local de l’OIM et du Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) relaie les données qui lui parviennent lorsqu’il accueille des survivants aux points de débarquement en Italie et en Grèce. À la frontière entre les États-Unis et le Mexique, les données sont rassemblées à partir des données des bureaux des shérifs et des médecins légistes des comtés des États-Unis. Les estimations dans les autres régions reposent en premier lieu sur des reportages et des rapports gouvernementaux de fin d’année, le cas échéant.
Collecte de données à l’échelle régionale:
Les enquêtes et les entretiens menés auprès de migrants peuvent également constituer une source d’informations sur les décès de migrants. Ces méthodes ne permettent toutefois pas de vérifier les informations rapportées, peuvent comptabiliser deux fois un même incident rapporté séparément par deux personnes interrogées, et reposent sur des échantillons de taille relativement réduite qui ne sont pas nécessairement représentatifs. Différentes sources rassemblent des informations sur les décès de migrants au moyen d’enquêtes et d’entretiens à différentes étapes de la migration, par exemple:
- Dans les pays qui bordent la Méditerranée, lorsque des bateaux de recherche et de sauvetage débarquent, les premiers intervenants de l’OIM et du HCR interrogent systématiquement les survivants sur le décès ou la disparition de personnes survenus au cours de leur traversée de la Méditerranée.
- Le Mixed Migration Centre et le Mixed Migration Hub, deux consortiums multi-agences, interrogent les migrants dans les pays de transit et de destination en Afrique et en Europe au sujet de leur voyage, et leur demandent s’ils ont été témoins d’abus ou de décès au cours de leur voyage.
Ensembles de données: plusieurs ensembles de données regroupant des informations primaires existent à l’échelle régionale.
- Le HCR recueille des informations sur les décès de migrants survenus en Méditerranée. Il ne fournit toutefois qu’un chiffre de synthèse unique sans préciser la méthodologie ou les données sous-jacentes.
- La base de données Deaths at the Borders a recueilli les données d’autorités locales en Grèce, à Gibraltar, en Italie, à Malte et en Espagne sur les corps de migrants décédés entre 1990 et 2013.
- La base de données Australian Border Deaths Database, créée par le Border Crossing Observatory de l’Université Monash (Australie) recense les décès survenus depuis 2000 qui ont un lien avec les frontières de ce pays.
- Entre 2000 et 2016, le collectif de journalistes Migrant Files a recueilli des informations sur les personnes décédées alors qu’elles tentaient de se rendre ou de séjourner en Europe de façon irrégulière. Leurs archives sont constituées d’articles de presse ainsi que des données tirées de deux autres bases de données sur les décès de migrants : les données générées par l’organisation néerlandaise Unis pour une action interculturelle (United for Intercultural Action); et les données de Fortress Europe, qui réunissait des informations depuis le début des années 1990. Ces trois sources extrayaient principalement leurs données de reportages, et appliquaient une définition des décès de migrants incluant les décès survenus en détention et ceux liés au statut juridique migratoire irrégulier.
Collecte de données à l’échelle locale et/ou nationale:
- Études de cas: l’Organisation internationale du Travail (OIT) a publié des rapports et enquête sur les cas de décès de travailleurs, y compris de travailleurs migrants (p. ex., OIT, 2016). Elle n’héberge toutefois pas de statistiques de synthèse accessibles au public.
- Concernant les ressortissants à l’étranger: certains gouvernements publient des statistiques sur les décès de leurs ressortissants à l’étranger pendant le voyage de migration, en détention ou au travail. Par exemple:
- L’Observatorio Consular y Migratorio de Honduras;
- Le Secretaría de Relaciones Exteriores du Mexique; et
- Le Ministère bangladais de la protection des expatriés et de l’emploi à l’étranger (Bangladeshi Ministry of Expatriate Welfare and Overseas Employment).
- Registres de données administratives: souvent, les données sur les décès de migrants ne sont pas ventilées à partir des données générales sur les décès à l’échelle fédérale ou locale. Lorsqu’ils sont disponibles, les registres tenus par les forces de l’ordre et les médecins légistes ainsi que les registres des décès peuvent fournir des données sur les décès de migrants, bien que la qualité et la disponibilité de ces registres varient largement. Par exemple :
- Le Bureau des douanes et de la protection des frontières des États-Unis (US Customs and Border Protection), qui publie le nombre de personnes décédées alors qu’elles tentaient de « franchir illégalement la frontière » méridionale du pays, ce nombre ne comprend toutefois que les cas dans lesquels des agents du Bureau sont directement mis en cause.
- Humane Borders, qui exploite les données du médecin légiste du comté de Pima (Arizona) pour recenser les personnes mortes en franchissant la frontière.
- Reportages: les médias sociaux/traditionnels rendent souvent compte d’événements relatifs à des décès survenus pendant le voyage de migration, bien que la qualité, l’exhaustivité et l’exactitude de ces reportages puissent considérablement varier. L’Asociación Pro Derechos Humanos de Andalucía publie un rapport annuel contenant des estimations du nombre de personnes décédées en tentant de se rendre en Espagne de façon irrégulière (y compris en franchissant les frontières maritimes et terrestres de l’Espagne), qui repose largement sur des reportages.
Points forts et limites des données
Les données sur les décès de migrants peuvent servir à éclairer l’action politique ainsi que les discussions sur les risques de la migration et les effets des politiques d’immigration et de frontières, au lieu de se référer à des événements passagers couverts par les médias. Les données sur les décès de migrants appuieront également la discussion relative à la cible 10.7 des objectifs de développement durable des Nations Unies, qui appelle à des migrations sûres, et à l’objectif 8 du Pacte mondial pour les migrations, qui engage les États à « sauver des vies et mettre en place une action internationale coordonnée pour retrouver les migrants disparus ». Néanmoins, que la définition soit large ou restrictive, les données sur les décès de migrants sont une estimation minimale dans toutes les régions. De nombreuses difficultés se posent également quant à la collecte et au regroupement de données sur les décès de migrants.
Parmi les difficultés liées à la collecte de données primaires, on peut citer les suivantes :
- Peu de sources officielles recueillent et publient des données sur les décès de migrants.
- Étant donné que les décès surviennent principalement lorsque les migrants empruntent des voies irrégulières, ils se trouvent souvent dans des zones isolées choisies dans le but de ne pas se faire repérer. En conséquence, il est fréquent que les corps ne soient pas retrouvés, ou seulement longtemps après, et que les décès ne soient pas signalés aux autorités.
- Lorsque les décès surviennent en mer, de nombreux corps peuvent ne pas être retrouvés. En l’absence de listes de passagers, on ignore le nombre précis de personnes portées disparues.
- L’intervention d’acteurs criminels ou gouvernementaux dans la facilitation de la migration irrégulière peut dissuader les survivants de signaler des décès, certains pouvant même être activement dissimulés.
Parmi les difficultés liées au regroupement des données, on peut citer les suivantes :
- La qualité et l’exhaustivité des données varient d’une région à l’autre. Cependant, les tentatives visant à estimer les décès dans le monde peuvent exagérer la proportion de décès qui surviennent dans certaines régions et sous-estimer la proportion dans d’autres régions
Par exemple, certains spécialistes sont d’avis que le franchissement du golfe du Bengale et de la mer d’Andaman fait plus de victimes que celui de la Méditerranée (Nations Unies, 2016). .
- Les différents enquêteurs peuvent également définir les « décès de migrants » de différentes façons, ce qui rend les comparaisons difficiles.
- Les informations provenant de sources médiatiques peuvent procéder d’une couverture incomplète ou inexacte.
Un autre enjeu lié aux données sur les décès de migrants (et aux autres données sur les migrants) consiste à rendre compte des personnes derrière les chiffres. Il convient, autant que possible, d’évoquer le contexte dans lequel sont survenus les décès lors de la communication sur les données, en vue d’humaniser chacun des décès et d’éviter leur normalisation.