Diasporas
Les diasporas, que l’on appelle parfois les expatriés ou les communautés transnationales, jouent un rôle important dans la mise à profit des avantages de la migration en matière de développement. Il est difficile de mesurer les aspects liés aux groupes de la diaspora, étant donné qu’il n’existe aucune définition convenue des « diasporas » . Les données sur les populations de migrants peuvent renseigner indirectement sur les populations de la diaspora, et les données sur les rapatriements de fonds sont elles aussi étroitement liées à l’étude des diasporas. Depuis les années 1990, de nombreux États ont mis sur pied de vastes programmes visant à favoriser les relations avec les diasporas. Compte tenu des divergences de définition et de l’absence d’un suivi et d’une évaluation solides, l’analyse comparative de ces politiques est toutefois difficile.
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Définitions
Le terme « diaspora » ne fait l’objet d’aucune définition arrêtée, et sa signification a considérablement évolué au fil du temps, ce qui la rend très difficile à mesurer. L’OIM définit les diasporas comme « les migrants ou les descendants de migrants dont l’identité et le sentiment d’appartenance ont été façonnés par leur expérience migratoire et leur parcours » (OIM, État de la migration dans le monde 2018 : p. 335). Si le terme était à l’origine utilisé pour décrire les situations de déplacement forcé de certaines personnes, aujourd’hui, il désigne généralement ceux qui s’identifient à un « pays d’origine », mais n’y vivent pas. Les définitions des « diasporas » n’incluent donc pas seulement les émigrants de première génération, mais aussi les enfants de ces personnes nés à l’étranger, pour autant qu’ils maintiennent un lien avec le pays d’origine de leurs parents. Ces liens, qu’ils soient culturels, linguistiques, historiques, religieux ou affectifs, sont ce qui distingue les groupes de la diaspora d’autres communautés.
De manière générale, les diasporas présentent la plupart, sinon la totalité, des caractéristiques suivantes :
- Une migration, qui peut être forcée ou volontaire, depuis un pays d’origine pour travailler, commercer ou fuir un conflit ou des persécutions ;
- Une mémoire collective idéalisée et/ou un mythe de la terre ancestrale ;
- Un lien constant avec un pays d’origine ;
- Une forte conscience de groupe qui dure dans le temps ; et
- Un sentiment de parenté avec les membres de la diaspora dans d’autres pays (d’après Cohen, 2008).
Les expressions « exode des compétences », « gain de compétences », « bassin de compétences » et « circulation de compétences » apparaissent souvent dans le contexte de la compréhension et de l’étude des diasporas. L’OIM définit la fuite des cerveaux comme l’émigration de travailleurs formés et qualifiés du pays d’origine vers un autre pays, entraînant un appauvrissement des compétences/ressources dans le pays d’origine. Les « gains de compétences », que l’on appelle également « exode inverse des compétences », s’entendent des avantages qu’apporte l’immigration de personnes qualifiées dans un pays. Il est admis depuis longtemps que l’émigration massive de personnes présentant un haut niveau de qualification ou d’instruction peut poser problème dans leur pays d’origine.
Cependant, dans la plupart des situations, la participation continue des groupes de la diaspora dans leurs pays d’origine peut remédier à l’exode des compétences. Depuis la fin des années 1990, les effets positifs de l’émigration ont fait apparaître de nouveaux termes tels que « circulation de compétences » et « bassin de compétences ». La « circulation de compétences » s’entend des émigrants qui transfèrent de nouvelles compétences et connaissances précieuses pour le développement de leur pays d’origine. Même lorsque les émigrants qualifiés ne rentrent pas dans leur pays d’origine, ils donnent souvent aux professionnels qualifiés restés chez eux accès aux précieuses connaissances acquises à l’étranger – c’est ce que l’on appelle un « bassin de compétences » (Kapur, 2001).
Les membres des diasporas peuvent participer au développement dans leurs pays d’origine de manière directe ou indirecte. Tinajero (2013) identifie cinq niveaux de participation des diasporas au développement, classés ici de la participation la plus faible à la plus forte :
- Réception d’informations : les membres des diasporas reçoivent de manière passive des informations sur des initiatives relatives au développement dans leurs pays d’origine.
- Collecte passive d’informations : les membres des diasporas fournissent des informations aux parties intéressées, souvent aux gouvernements de leur pays d’origine.
- Consultation : des acteurs du développement, y compris les gouvernements, consultent les membres des diasporas afin d’orienter les politiques ou les pratiques.
- Collaboration : les membres des diasporas partagent des responsabilités, soit en déléguant des tâches à d’autres acteurs, soit en concevant et en mettant en œuvre conjointement des actions en faveur du développement.
- Auto mobilisation : les membres des diasporas s’approprient pleinement des initiatives de développement et en assument l’entière responsabilité.
Agunias et Newland (2013) fournissent un aperçu utile des pays qui disposent de différents types d’institutions gouvernementales ou paraétatiques chargées des diasporas, ainsi que ceux qui maintiennent des réseaux consulaires (voir pages 72 à 92). L’OIM classe les institutions chargées des diasporas en fonction de la position qu’elles occupent au sein de la hiérarchie gouvernementale, cela reflétant souvent leur niveau d’influence à l’intérieur et à l’extérieur du gouvernement:
Tendances récentes
Les acceptions du terme « diasporas » ont également évolué à mesure que les discours et pratiques politiques se sont ouverts aux diasporas. S’il existe des politiques et institutions relatives aux diasporas depuis les années 1800, un nombre croissant de gouvernements et d’organisations internationales mettent en œuvre des politiques en vue d’intégrer les populations de la diaspora dans divers domaines depuis les années 1990 (Gamlen, 2014). Cela découle de la reconnaissance croissante du fait que les communautés de la diaspora sont des acteurs importants du développement, et sont à même d’améliorer les liens sociaux, économiques et culturels entre leurs pays d’origine et d’accueil.
Les politiques de sensibilisation des diasporas ne se contentent pas de proposer des services consulaires classiques à l’intention des ressortissants à l’étranger, mais incluent également des programmes au sein des ministères nationaux portant par exemple sur la santé, la protection sociale, le travail, l’instruction, l’économie, la culture ou la religion. Plusieurs pays, dont les Philippines, le Bangladesh, le Canada et Israël, disposent de ministères exclusivement chargés des relations avec les diasporas.
Si les programmes de sensibilisation des diasporas visent souvent l’utilisation des fonds rapatriés à des fins de développement, les gouvernements facilitent de plus en plus les liens par d’autres moyens. De nombreux États ont facilité la conservation ou l’accès à la citoyenneté pour les membres de la diaspora, ou ont élaboré de nouvelles formes d’appartenance (Agunias et Newland, 2012).
Par exemple, en Inde, en Turquie, en Croatie et dans d’autres États, les personnes en mesure d’apporter des preuves de liens avec leur pays d’origine peuvent demander une carte attestant leur origine ethnique. Certains États, à l’instar du Mexique, ont également révisé leurs structures de représentation électorale en vue d’inclure davantage leurs ressortissants à l’étranger. Dans les États d’origine où les nationaux vivant à l’étranger ne sont pas autorisés à voter, des associations politiques peuvent constituer d’autres formes de représentation.
Sources de données
Il est difficile de recueillir des données sur les populations de la diaspora, car les émigrants ne font pas automatiquement partie de diasporas, tandis que les descendants de migrants de deuxième et de troisième génération peuvent être considérés ou se considérer comme membres d’un groupe de la diaspora. De manière générale, on dispose de bien plus d’informations sur les diasporas que de données. Les informations diffèrent des données d’un point de vue qualitatif, suggérant une approche non systématique. Il n’existe actuellement aucune initiative visant à mesurer les populations mondiales de la diaspora proprement dites, mais les sources de données ci-dessous peuvent renseigner indirectement sur les diasporas qui maintiennent des liens avec un pays d’origine donné. Peu de données sont disponibles sur les groupes de la diaspora qui partagent une religion ou une appartenance ethnique.
Les données sur les populations d’émigrants font partie de ces données indirectes. De nombreux pays communiquent des données sur les populations à des organisations telles que le DAES, l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et l’Office statistique de l’Union européenne (Eurostat). Certains pays affichant des taux d’émigration élevés incorporent des questions sur l’émigration dans leurs recensements nationaux, comprenant souvent des questions sur les destinations des émigrants, leurs caractéristiques démographiques, leur niveau d’éducation et leur motivation à migrer, entre autres. Cependant, les données sur les populations d’émigrants décrivent les populations de la diaspora de manière incomplète pour les raisons exposées dans le paragraphe ci-dessus et parce que les chiffres de la migration dans le monde n’établissent pas toujours de distinction entre les migrants de courte et de longue durée.
Les données sur les questions liées aux diasporas peuvent également approfondir nos connaissances sur les diasporas. La« fuite des cerveaux» et les phénomènes connexes peuvent être mesurés à l’aide de données sur le niveau d’éducation des émigrants. Par exemple, l’OCDE mesure le niveau d’éducation parmi les migrants dans des pays de l’OCDE et dans des pays de destination non-membres de l’OCDE. De la même manière, les données sur les rapatriements de fonds effectués par les migrants ne reflètent qu’une des nombreuses façons dont les diasporas influencent leurs pays d’origine et d’accueil. Des données récentes sur le nombre de politiques et de programmes liés aux diasporas apparaissent dans certaines publications d’Alan Gamlen, mais ces données ne sont pas accessibles au public.
Par ailleurs, les données opérationnelles peuvent améliorer notre connaissance des groupes de la diaspora. Par exemple, le programme Migration pour le développement en Afrique (Migration for Development in Africa, MIDA) de l’OIM est un programme de renforcement des capacités qui promeut le transfert de compétences, de connaissances et d’autres ressources des émigrants africains vers leurs pays d’origine. La mise en œuvre par l’OIM des programmes pour le retour de nationaux qualifiés (Return of Qualified Nationals, RQN) et le retour temporaire de nationaux qualifiés (Temporary Return of Qualified Nationals, TRQN) a entraîné plus de 4 000 affectations de la diaspora dans le monde et, ainsi, le déploiement de compétences dans des secteurs tels que l’éducation, la santé et la technologie. L’OIM a également mené plus de 120 enquêtes d’évaluation des communautés de la diaspora, principalement dans des États membres de l’OCDE et des pays européens. Parmi celles-ci, on peut citer les études sur les groupes de la diaspora de Zambie, d’Angola, du Maroc et de la République de Moldova. Des données tirées de programmes similaires, tels que le programme Transfert des connaissances par l’intermédiaire des expatriés (Transfer of Knowledge through Expatriate Nationals, TOKTEN) du PNUD, ont servi à évaluer l’efficacité des programmes de formation et de sensibilisation des diasporas dans certains pays tels que le Soudan et la République arabe syrienne.
Back to topPoints forts et limites des données
On dispose de plus d’informations que de données sur les thèmes liés à la diaspora. Les points forts et les points faibles des sources de données indirectes sont décrits sur les pages relatives aux populations et aux rapatriements de fonds. Les études sur les populations de la diaspora menées par les pays d’origine sont souvent limitées par les coûts humains et financiers qu’entraînent des enquêtes à grande échelle dans des lieux reculés. Plusieurs États, tels le Nigéria et Saint-Vincent-et-les Grenadines, possèdent des bases de données sur les populations de la diaspora qui reposent sur un enregistrement en ligne volontaire, tandis que d’autres recueillent des données à partir de registres d’émigration. Les gouvernements des pays d’origine sont alors contraints de recourir à des données recueillies par les pays de destination sur, par exemple, le pays de naissance ou l’ascendance d’un résident. Si certains pays de destination tels que l’Allemagne ont mené des études sur de nombreux aspects des membres de diasporas vivant sur leurs territoires, les données sur les diasporas sont loin d’être exhaustives.
À l’heure actuelle, les recherches sur les institutions liées aux diasporas prennent majoritairement la forme d’études de cas sur un seul pays, avec une analyse comparative limitée et une recherche quantitative encore plus réduite. Il est donc possible d’étudier plus avant les déterminants qui aboutissent à l’élaboration de politiques de sensibilisation des diasporas ainsi que d’éventuelles pratiques exemplaires dans le cadre des politiques liées aux diasporas.
L’Oxford Diasporas Programme, qui a pris fin en 2015, a été l’une des rares analyses comparatives de programmes de sensibilisation des diasporas et a également inclus plusieurs autres projets mesurant l’impact sociale, économique, politique et culturelle des diasporas dans le monde.
Comme indiqué ci-dessus, les données relatives aux populations d’émigrants peuvent servir à renseigner de manière indirecte et approximative sur les populations de la diaspora. Il est toutefois difficile de réunir des données sur les émigrants, comme en témoigne le fait que le nombre total d’immigrants enregistrés dans le monde est supérieur au nombre d’émigrants relevé. Contrairement aux populations d’immigrants, le nombre d’émigrants est difficile à établir à partir des recensements nationaux. Étant donné que de nombreux pays ne recueillent pas de données sur les émigrants potentiels lors des contrôles aux frontières, il est probable que les données sur les populations d’émigrants correspondent à des seuils inférieurs (Division de statistique des Nations Unies, 2017).
Un problème supplémentaire réside dans le fait que la recherche sur les questions liées aux diasporas se concentrent pour la grande majorité sur les migrations Sud-Nord. Le peu d’attention porté aux migrations Sud-Sud indique que la mobilisation des diasporas et la« fuite des cerveaux » sont essentiellement envisagés sous l’angle de la migration de professionnels hautement qualifiés et éduqués des pays du Sud vers l’hémisphère Nord. Ceci est particulièrement problématique compte tenu du fait que les migrants internationaux sont plus nombreux dans les pays du Sud que dans les pays du Nord. Les avantages de la mobilisation des diasporas sont souvent considérés comme un flux de ressources à sens unique des pays développés du Nord vers les pays moins développés du Sud, ce qui ne correspond manifestement pas à la réalité des migrations Sud-Sud. Si de nombreuses suppositions présument que la mobilisation des diasporas compense la fuite des cerveaux, les éléments de preuves ne suffisent pas à établir si cela s’applique aux pays du Sud.
Lectures supplémentaires
Cohen, R. | |
2008 | Global Diasporas: An introduction. Second edition, Routledge, New York. |
Gamlen, A. | |
2019 | Human Geopolitics. States, Emigrants, and the Rise of Diaspora Institutions. Oxford University Press, Oxford. |
Sigona, N., A. Gamlen, G. Liberatore, H. Kringelbach (eds.) | |
2014 | Diasporas Reimagined: Spaces, Practices and Belonging. Oxford Diasporas Programme, Oxford. |
Agunias, D. and K. Newland | |
2012 | Developing a Road Map for Engaging Diasporas in Development: A Handbook for Policymakers and Practitioners in Home and Host Countries. International Organization for Migration, Geneva and Migration Policy Institute, Washington, DC. |
McAuliffe, M. and M. Ruhs (eds) | |
2017 | “Appendix B. Diaspora” in World Migration Report 2018. International Organization for Migration, Geneva. |
Collyer, M. (ed.) | |
2013 |
Emigration Nations: Policies and Ideologies of Emigrant Engagement. Palgrave Macmillan, London. |
Ragazzi, F. | |
2014 | A comparative analysis of diaspora policies. Political Geography, 41:74-89. |
Chikanda, A. and J. Crush | |
2014 | Diasporas of the South. In A New Perspective on Human Mobility in the South (R. Anich, J. Crush, S. Melde, J. Oucho, eds.). International Organization for Migration, Geneva. |
Kapur, D. | |
2001 | Diasporas and technology transfer. Journal of Human Development, 2(2):265-286. |
UN Department of Economic and Social Affairs Statistics Division (UNSTATS) | |
2017 | Chapter VI: The challenges of measuring emigration. In Handbook on Measuring International Migration through Population Censuses. United Nations, New York. |
OECD | |
2015 | Connecting with Emigrants: A Global Profile of Diasporas 2015. OECD Publishing, Paris. |
Oxford Diasporas Programme publications are available online. |